4.9.11

Walk the line

C’est June Carter qui a appris à Johnny Cash comment marcher droit, suivre la ligne, se racheter une conduite. Personnage dans l’ombre d’un homme bien sombre lui-même, surnommé « l’homme en noir ». Homme dont je ne connaissais le nom et la réputation que de bien loin. Quelques titres pour les prisonniers de la Folsom Prison, quelques danses country sur sa voix d’outre-tombe.

Mais voilà que je visionne Walk the line, film musical qui touchera presque par évidence une corde sensible chez moi. Moi l’inconditionnelle des comédies musicales, fondant dès qu’un acteur se trémousse ou bouge les lèvres sur une chanson entrainante, ou pleine d’émotions, fût-elle de Madonna (oui j’ai même succombé à Evita !).

Dans Walk the line, ce n’est ni la voix de Cash, ni celle de sa compagne issue de la famille de musique country des Carter que l’on entend : les comédiens interprètent eux-mêmes leurs chansons et ont appris à jouer de la guitare ou de l’auto-harpe. Ces comédiens font des prouesses. Quand James Mangold a proposé le rôle-titre à Joaquin Phoenix en 2001, il a très vite accepté et demandé au réalisateur ce qu’il devait accomplir pour se préparer à jouer Cash : « T’acheter une guitare » lui a répondu Mangold. C’est ce qu’il fit, sans jamais quitter l’instrument jusqu’au début du tournage 4 ans plus tard. Une vraie leçon d’investissement et de discipline.

Son visage est celui d’un véritable acteur, protéiforme, changeant au gré des angles de vue ou des étapes de la vie du personnage. Il est définitivement touchant, jouant à merveille la fêlure et la sensibilité, la descente dans les abîmes, la fragilité de celui à qui on a arraché pour toujours un frère modèle et aimant. On pense à James Dean et son jeu à fleur de peau. D’ailleurs le réalisateur établit à juste titre un parallèle entre les débuts d’un cinéma fiévreux et authentique dans les années 50 - celui de Dean par exemple, qui s’oppose à la formatisation, à la tradition d’un Errol Flynn ou d’un Cary Grant - avec la musique rock de l’époque qui suit le même mouvement dans ces mêmes années en révélant des artistes vrais et pétris de démons comme Jerry Lee Lewis, Elvis Presley ou Roy Orbison.

Face à Phoenix, Reese Witherspoon est sa sauveuse, enthousiaste, bienveillante, toujours égale à elle-même, révélant avec franchise les dures vérités et épousant de sa voix légèrement cassée les coins sombres de John. Ils apprennent peu à peu à se connaître dans leurs jeunes années. Et enfin elle ressent cette brûlure à l’intérieur, « and it burns, burns, burns, the ring of fire »…

Parallèle avec The thing called love qui en 1993 réunissait River, défunt frère de Joaquin, et Samantha Mathis dans une romance sur fond de mots bleus et de country à Nashville, Tennessee.

Amours imaginaires

C’est l’histoire de Marie et Francis : ils tombent amoureux du même garçon, Nicolas, un ange sosie de notre Louis Garrel national (le vrai Louis viendra d’ailleurs faire une courte apparition dans le film). On pense aux Chansons d’amour pour cette raison, mais également pour l’importance de la musique (Dalida, The knife…) associée aux images soignées, les références mode et intellectuelles, voire un brin poseuses.
Mais Dolan accorde aussi beaucoup d’importance à l’esthétisme. Il filme les nuques, les dos ondulant sous l’effet d’une marche au ralenti, faisant miroiter des couleurs chatoyantes et des costumes sortis d’un autre temps comme en prise avec un revival 80’s en vogue. Dolan fait des parallèles entre les personnages et les œuvres d’art lorsque Nicolas devient soudain David, une statue de Michel-Ange aux boucles blondes. Malgré une grande attention accordée aux face-caméras, où des anonymes nous racontent leur dernière déception amoureuse, tantôt drôles ou touchants, tantôt lourds et inutiles, l’accent québécois est souvent charmant, et pour nous Français ô combien exotique lorsqu’il nécessite même un sous-titrage.
Et là où Xavier Dolan touche, c’est lorsqu’il nous fait partager des intermèdes charnels qui rythment le film de leur sensualité ; des gros plans d’une peau, d’un sein ou d’une main passés dans des filtres colorés. Ou encore lorsque le personnage sensible qu’il incarne – Francis – utilise, dans l’intimité froide d’une salle de bains, des petits bâtons pour certainement compter autant d’expériences sexuelles creuses et douloureuses, symbole de la défiance d’une jeune génération envers l’amour.