4.12.10

The Suburbs-Arcade Fire-LP 2010

Evidemment l’attente est grande lorsque le groupe qui a conçu le disque de toute une vie – Funeral – sort sa nouvelle création. Surtout après un très bon Neon Bible, mais qui n’a jamais provoqué la même fièvre.
Mais ô ! The Suburbs s’avère être un album magnifique à la hauteur de toutes les attentes. C’est un disque généreux (16 morceaux !) qui s’allonge pour notre plaisir, alternant ballades, punk et fièvre. Des morceaux, et ce n’est pas péjoratif, cèdent au revival ambiant des 80’s : ‘Modern man’ égrène son contre-tempo et ‘Sprawl 2’ est une étonnante bombe à la Blondie sur laquelle on imagine déjà Régine et sa troupe sautiller en souriant béatement sur scène. Moins d’hymnes sont présents sur cet opus, mais plus d’émotions en filigrane, de travail sur la rythmique des mots et leur alliance avec la musique. Bien sûr, certaines chansons comme ‘Ready to start’ ou ‘We used to wait’ tiennent lieu de ‘Rebellion (Lies)’ ou de ‘Wake up’ comme tubes entraînants auprès du public. Mais comparez-les à la fragilité de ‘Half light I’ ou de ‘Wasted hours’. Même un morceau a priori inoffensif tel ‘The suburbs’ a la capacité de nous faire visionner des cinématiques orchestrales, qui d’habitude étaient projetées par des chansons à l’intensité et au lyrisme bien plus affirmés.

Mais ce qui interpelle réellement dans ce recueil de chansons, ce qui le rend plus fort, c’est son concept : écrire sur la jeunesse en banlieue, un thème brodé comme un fil rouge reliant chaque morceau. On se reconnaît dans les lotissements qui s’étirent indéfiniment jusqu’aux accidents de terrain (‘Sprawl 2 (Mountains beyond mountains)’), la lumière partout, jamais une once d’obscurité dans la ville et ces artères tentaculaires où les gyrophares de la police (véritable leitmotiv puisque déjà présents dans ‘Laïka’ sur le premier album par exemple) trouvent écho dans les réflecteurs des vélos. Autrefois on ne faisait rien, on traînait au parc, on rêvait : c’était un droit, c’était une jouissance. Maintenant la musique provoque les clivages (« now the music divides us into tribes » dans ‘Suburban war’) et il faut choisir son camp. Ce sont les amis que l’on perd de vue même si nous passions notre vie avec et partagions des passions musicales, c’est la distribution du courrier, infime moment dans une journée pouvant pourtant apporter une immense excitation. Mais tout change un jour : les adultes n’écrivent plus de lettres à leurs amis, ne jouent plus de musique, et ils apprennent à conduire…
Cette nostalgie apparente semble toutefois exempte de regrets. Le monde dépeint ne semble pas meilleur : peut-être tout simplement qu’il était vu à travers le regard naïf d’un enfant ou d’un adolescent et non par les yeux d’une grande personne débordée par les tracas de la vie quotidienne qui se perd dans les choses superficielles. L’adolescence était peut-être le temps de l’insouciance, mais aussi du vrai, ce qui compte. Ce regard, c’est peut-être celui des membres du groupe, qui considère avec recul les années écoulées, comme un tremplin pour la maturité.
Ce qui laisse à penser que The Suburbs est une création décomplexée : les membres du groupe ont tellement grandi qu’ils écrivent sur les enfants qu’ils pourraient avoir et non sur ceux qu’ils sont, ou étaient (« us kids now »). Les morceaux sont presque des ritournelles lorsque les paroles de la chanson-titre s’ancrent comme une comptine dans la mémoire (les mêmes phrases sont reprises, mais sur une mélodie différente : dans ‘The suburbs’ « grab your mother’s keys we’re leaving » et dans ‘Suburban war’). Mais la mélodie change tout et donne réellement une couleur aux mots. Tantôt touchante, tantôt tranchante.
Pour la première fois, j’ai l’impression que j’aurais pu écrire ces paroles : pas par prétention mais parce qu’elles décalquent mes obsessions de la nostalgie et du temps qui passe. Et parce qu’elles touchent, certainement, à l’universalité.

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